17 de març 2014

Sobre el "cosmopolitisme" i les fronteres

Text publicat a http://sciencepostremi.blogspot.com.es/2011/01/eloge-des-frontieres-suite.html

Les Frontières(suite): une approche philosophique


Chers élèves,

Afin de prolonger votre réflexion sur la question des "Frontières", notre excellent collègue de Philosophie, M. Coillot, vous propose la démonstration suivante:

Note sur le cosmopolitisme

Le thème des frontières appelle quelques développements sur le cosmopolitisme. En effet, le terme « cosmopolite » des mots grecs « cosmos », le monde, et « polites » citoyen, qui signifie « citoyen du monde » pourrait laisser penser que le cosmopolitisme appelle une abolition des frontières pour que le monde ne devienne qu’un seul état, et qu’à l’unité spatiale du monde et à l’unité de l’espèce humaine corresponde l’unité d’un seul Etat (serait-ce d’ailleurs un Etat ?).Il semblerait alors possible de poser cette question : se vouloir cosmopolite, est-ce vouloir la disparition des frontières et des états ?

Les deux pensées qui ont thématisé ce concept de cosmopolitisme n’ont nullement envisagé une telle disparition. Il s’agit des stoïciens et de Kant. On essaiera de définir ce que peut signifier la notion de « citoyen du monde » s’il ne se définit pas par l’absence d’Etat.

Dans la pensée stoïcienne, le cosmopolitisme se fonde sur l’unité de l’espèce humaine : la raison (le « logos ») est présente chez tout homme, mais aussi dans le monde (le monde est intelligible, et il faut surtout comprendre que pour la pensée ancienne, il est source de sens, en ceci que la raison individuelle est un fragment de la « providence » ou de l’esprit du monde. « Le monde est un vivant unique, avec une seule âme et une seule substance » écrit Marc-Aurèle, Pensées, II, 40).

C’est parce qu’obéir à sa raison c’est aussi obéir à un ordre du monde considéré comme bon et nécessaire que les stoïciens ont développé le cosmopolitisme. En effet si tous les hommes obéissent à leur raison, ils obéissent à un principe qui les rassemble au lieu de les séparer, principe qui dépasse les lois de la cité. La Cité-état des Grecs.

« Si la pensée nous est commune, la raison qui fait de nous des êtres raisonnables, nous est aussi commune ; et s’il en est ainsi, la raison, qui ordonne ce qui est à faire ou non, nous est commune ; par conséquent la loi aussi est commune ; s’il en est ainsi, nous sommes des citoyens ; donc nous avons part à un gouvernement, et par conséquent le monde est comme une cité ; car à quel autre gouvernement commun pourrait-on dire que tout le genre humain a part ? » Marc-Aurèle, Pensées, IV, 4.

Le cosmopolitisme trouve donc son fondement dans la conception que ces penseurs antiques se faisaient de la nature et du monde. On pourra parler à leur propos d’un fondement plus naturel que politique ou juridique du cosmopolitisme, puisqu’il n’est pas fondé par l’idée de droit ou d’Etat.

Si le fondement est plus « naturel » que politique, l’usage du concept de cosmopolitisme est plus moral que politique. Dans la citation ci-dessus de l’empereur Marc-Aurèle, il ne faut pas lire un relativisme des coutumes, mais plutôt un renforcement de l’obligation à bien vivre, à vivre selon le monde. De même qu’il est –la plupart du temps- condamnable de s’exclure des lois de la cité, vivre de façon injuste, c’est s’exclure du monde. Et s’il ne peut y avoir de gouvernement commun à tous les hommes que celui de la raison, c’est par absence de toute autre règle qui pourrait s’imposer à l’ensemble des hommes. Si le monde est comme une cité, c’est à défaut d’une cité réelle qui puisse rassembler tous les hommes. L’idée de cosmopolitisme pour les stoïciens, ce n’est donc pas faire un état mondial, mais plutôt un argument supplémentaire pour agir selon les préceptes stoïciens, pour agir en respectant « le grand Tout » du monde. Il est à noter que si le stoïcisme a pu devenir la philosophie officielle de l’empire romain, l’empereur Marc-Aurèle ne décrit jamais dans ses Pensées le cosmopolitisme comme quelque chose que l’empire romain devrait réaliser, comme si l’extension de Rome devait devenir un Etat mondial se justifiant par lui. On ne trouve aucune vision de ce type dans les Pensées. Autrement dit, dans la pensée stoïcienne, le cosmopolitisme est un concept moral qui ne trouve aucune concrétisation que nous appellerions aujourd’hui politique.

Cependant cela ne minimise pas l’importance de ce thème : les stoïciens ont respecté les lois morales comme si elles venaient de la nature (et pour eux tel était le cas) dépassant la contingence des naissances et des coutumes. « Par nature, à ce que disait Ariston, il n’y a pas de patrie » Plutarque, De l’exil.


La seconde pensée du cosmopolitisme est celle du philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804). On la trouve dans trois œuvres, dont la première est tout à fait lisible par des élèves de terminale : Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, Projet de paix perpétuelle, et enfin Doctrine du droit, § 60. L’ordre de ce concept est difficilement définissable, il semble être de nature à la fois juridique et politique, et il est pensé dans l’horizon de la morale.

Dans le premier ouvrage cité, Kant pose qu’une constitution civile parfaite (c’est-à-dire une constitution qui permette aux membres de l’Etat d’épanouir leurs dispositions humaines) intérieure est liée à l’établissement entre les Etats de relations réglées par le droit. Sans doute faut-il comprendre que le risque permanent de guerre amène les Etats à instrumentaliser leurs citoyens. Ces relations réglées par le droit seraient rendues possibles par une Société des Nations qui permettrait à tout Etat, même le plus petit, de se voir respecté, non en usant de la force ou de sa propre appréciation du droit mais de cette société.

On voit par là que le cosmopolitisme que propose la pensée kantienne n’est pas non plus la suppression des Etats. Au contraire la paix perpétuelle ne peut venir que d’accords entre Etats : il s’agit bien, dit Kant, d’une société des nations, et non d’un Etat des nations[1]. La paix n’est pas la condition de l’établissement des Etats, mais la création des Etats la condition de la paix. Il s’agit en fait d’établir des relations de droit dans le but d’éviter la guerre, qui est un mal moral incontestable. C’est donc dans l’horizon de la morale que Kant pense le cosmopolitisme, celui ayant en quelque sorte le statut d’une espérance. Il s’agirait de parvenir à une alliance de paix et non pas seulement à un contrat de paix. Celui-ci ne fait qu’entériner la fin d’une guerre quand celle-là vise à les empêcher toutes. Elle aura pour but d’assurer la liberté des Etats.

Kant ajoute à cela que le droit cosmopolitique doit se restreindre aux conditions de l’hospitalité. Tout étranger dans un Etat doit pouvoir bénéficier d’un droit de visite, et non d’un droit de résidence (on parlerait aujourd’hui d’installation), ce qui implique que l’étranger ne doit pas être considéré comme un ennemi.

A ces quelques lignes, qui s’en tiennent au plus près des textes de Kant, on pourra ajouter les deux grandes lignes d’interprétation. Une première ligne d’interprétation pourra dire que le républicanisme intérieur (Kant appelle république la forme que prend un gouvernement qui favorise la libre volonté publique) ne peut se développer qu’avec le cosmopolitisme, avec ce que l’on pourrait appeler un républicanisme extérieur. Reprenant les idées de Kant, on pourrait alors dire que ce cosmopolitisme se dirige vers une Cité universelle, et que les droits qu’elle pourrait créer ne seraient plus seulement des droits entre Etats, mais des lois d’un Etat cosmopolitique, garantissant des libertés individuelles. Assez éloignées des conclusions que le philosophe tire de ses propres pensées, cette ligne d’interprétation est assez controversée.

Une seconde ligne d’interprétation voit dans le cosmopolitisme kantien une sorte de conscience d’appartenance à un même monde. En cela le cosmopolitisme ne se définirait pas par le fait d’être apatride ou de n’appartenir à un aucun Etat, pas plus que par le fait d’être un voyageur universel ou privilégié qui ne sentirait pas la contrainte des lois et des coutumes, mais par la conscience que « l’atteinte au droit en un lieu l’est ressentie en tous[i] ». Dans Le conflit des facultés, Kant avait vu dans l’enthousiasme qui accueillait la révolution française en Europe une preuve de la disposition morale de l’humanité : être cosmopolite, ce serait se sentir et se savoir concerné par les événements du monde, par tous les progrès et toutes les apparitions de la liberté dans le monde.


[1] Projet de Paix perpétuelle, 2è section, 2è article définitif.

[i] Op cit, 3è article.

Y. Coillot, pour l'équipe Sces Po.