13 de setembre 2013

L’histoire doit se débarrasser des mythes (ressenya a Le Midi Rouge)

Recensió de Miquèl Ruquet
Le Midi Rouge, 21 (2013), pp. 29-30
 
Dans un monde de plus en plus globalisé et alors que la République française, encore une fois et malgré les promesses de campagne, refuse de reconnaître sa multiculturalité, un livre publié en catalan par les historiens Òscar Jané et Xavier Serra (éds.) [Ultralocalisme. D'allò local a l'universal, Editorial Afers, col·lecció Mirmanda, Catarroja, Figueres, Perpinyà, 2013, 175 pp.], étudie le rapport entre l’appartenance à une culture locale et les valeurs universelles. Le propos n’est pas nouveau, déjà au début du XXe siècle, Jean Jaurès, en bon connaisseur d’Hegel, inscrivait sa « petite patrie » occitane dans l’internationalisme et l’universel. Les auteurs, en regroupant plusieurs articles (ceux d'Enric Pujol, Eric Forcada, Antoni Vives, Carla González, Xavier Serra, Paül Limorti, Jacques Rancière et Andreu Balent) donnent plusieurs aspects de cette dualité.


Le texte qui résume le mieux le propos est celui d’Enric Pujol, « Iniciació al mite de Figueres ».  Enric Pujol analyse comment une petite ville de l’Empordà, proche de la frontière d’État, a eu un rayonnement mondial et a pu dominer la pensée politique catalane par ses idées républicaines fédérales. Pour créer de l’universel, il faut partir du morceau de terre où on vit et celui qui perd la langue et la culture de son pays ne peut rien créer parce qu’il n’appartient à rien. Dali produit une œuvre universelle parce qu’il est ancré dans un lieu précis, entre Figueres et Cadaquès. Cette leçon est évidemment en résonnance avec la situation actuelle dans les pays catalans, mais elle pourrait inspirer une France congelée par le jacobinisme. Dans une interview au journal Punt Avui, Òscar Jané résumait ainsi sa pensée : « Être “ultralocal” c’est croire que sa culture peut atteindre à l’universel ».
Le département des Pyrénées-Orientales n’est pas oublié dans ces articles. Ce sud ignoré dans sa composante culturelle par l’État jacobin français est aussi le nord de la Catalogne. Eric Forcada décrit comment Prat de la Riba (1) fait évoluer sa pensée du régionalisme au nationalisme catalan pendant son séjour dans le Roussillon au début du XXe siècle. André Balent analyse, dans un article novateur et aussi polémique, l’itinéraire au XXe siècle d’un des fondateurs du catalanisme dans le Roussillon, Alfons Mias : « Alfons Mias (1903-1950), el fundador de « Nostra Terra », durant la segona guerra mundial ».
André Balent révèle qu’établir une biographie de Mias entre les années 1940 et 1950 tient du tabou dans la mesure où il va servir de modèle aux jeunes catalanistes de gauche (2) des années soixante-soixante-dix, qui taisent sa compromission avec le régime de Vichy et avec les Allemands (3). Il ne reste de lui que l’image du modernisateur du catalanisme nord-catalan, proche des idées progressistes de la Catalogne autonome de la Seconde République (1931-1939) et beaucoup vont même nier sa condamnation par la Chambre civique de Perpignan, ne voyant en lui qu’un patriote catalan victime de la vindicte de certains résistants.
On comprend la tache difficile d’André Balent pour décrire la dérive d’Alfons Mias. Il s’appuie sur les travaux de Pierre Grau – fils de Roger Grau, un des membres de Nostra Terra – qui est devenu l’historien de la revue, en particulier dans les années précédant la seconde guerre mondiale (4). Parmi ses sources figurent quelques pages du Journal de Mias (Dietari), journal que la famille ou certains admirateurs refusent de confier aux archives publiques. Son origine familiale, catholique traditionnaliste et d’esprit carliste amène le jeune Alfons Mias à adhérer à l’Action Française. La proclamation de la Généralité de Catalogne le transforme en militant nationaliste catalan progressiste et il se rapproche des occitanistes de la revue Occitania. Pendant la guerre civile, il soutient la Généralité et participe à l’aide apportée aux Républicains. Comme les occitanistes, il accueille avec enthousiasme le régime de Vichy et son discours régionaliste, renouant avec ses idées de jeunesse. Mais son maréchalisme outrancier (5) perdure alors que la plupart des occitanistes de Terra d’Oc – à l’exception notable de Louis Alibert – se rapprochent de la résistance. Secrétaire de mairie de Palalda (P.O.), il ne dénonce pourtant pas la présence dans le village de Pietro Nenni, antifasciste et militant socialiste italien, réfugié avec toute sa famille. On sait qu’il ferme les yeux sur les passages en Espagne toute proche. Même si des contacts ont été pris par « Nostra Terra » avec les nazis à Montpellier, ils ne débouchent sur aucune collaboration du mouvement catalan dont beaucoup de membres rejoignent la résistance.
Pourtant le Journal de Mias montre sa sympathie pour les Allemands du Vallespir – il les invite à manger – et sa haine des résistants qu’il assimilait aux seuls communistes : il parle « d’attentats terroristes » pour désigner les actions de résistance. En janvier 1944, tout laisse supposer que Mias n’est pas étranger à l’arrestation par les Allemands de l’ancien maire d’Amélie-les-Bains, M. Emmanuel Hefler, résistant de dernière heure, déporté par la suite en Allemagne et mort au camp de Bergen Belsen. Il l’aurait dénoncé comme l’auteur de fausses cartes d’identité. C’est ce qui l’incite à trouver refuge dans l’Espagne franquiste. Le 27 août 1944, il fuit en Espagne et retrouve ses amis allemands réfugiés à Figueres. En octobre 1944, résident à Barcelone, il participe à une réunion de l’ex-consul vichyste, Pierre Héricourt, un « ultra » de la collaboration, ce qui montre son inclination idéologique. Il ne semble pas voir la répression anticatalaniste du régime franquiste, ne retenant que son anticommunisme et son soutien au catholicisme. Il est absent lors des séances de la Chambre civique des 10 avril et 5 mai 1945. Il est condamné  à l’indignité nationale à vie par contumace le 11 juin 1945 alors que, s’il avait été présent, la peine n’aurait été que de cinq ans. Ses biens sont confisqués. Il meurt à Barcelone en mars 1950 sans jamais être revenu dans le Vallespir, peut-être par crainte de la vengeance des proches de M. Hefler.
Cette trajectoire « sinueuse » est un contre exemple du passage du local à l’universel, le nationalisme français de sa jeunesse le renvoyant, avec son adhésion à Vichy et à la collaboration, dans la part noire de l’histoire. D’autres membres de « Nostra Terra » ont rejoint la Résistance et la lutte contre le fascisme. Il n’en reste pas moins vrai que le travail d’André Balent est salutaire car l’histoire doit se débarrasser des mythes : Mias n’est pas un héros de la catalanité victime du nationalisme français, il n’est qu’un enfant des idées maurassiennes. Il est temps aussi que les historiens démolissent les nombreux mythes de l’histoire.

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(1) Enric Prat de la Riba i Sarrà, (1870-1917) est un avocat, journaliste et homme politique catalan. Premier président la Mancomunitat de Catalunya, il est fondateur de l'Institut d'Estudis Catalans.
(2) Autour de la revue Nostra Terra.
(3) Un livre publié cette année par Joan Peytavi Deixona « oublie » aussi cette partie de sa biographie : Avantpassats, Histoire et généalogie des grands hommes de Catalogne Nord, Trabucaire, Perpignan,  2013.
(4) Pierre Grau, Introduction à l’étude  du problème national catalan en France : Alfons Mias et l’origine de ‘‘Nostra Terra’’, Université de Montpellier III ‘‘Paul-Valéry’’, 1981 ; Nostra Terra, joventut catalanista de Rosselló, Vallespir, Cerdanya, Conflent i Capcir. Étude d’un mouvement de jeunes catalanistes, DEA, Université de Montpellier-III – « Paul-Valéry », 1983 ; « ‘‘Nostra Terra’’, association de la jeunesse catalaniste (1937-1939) », Actes du 110e congrès national des sociétés savantes, Montpellier, 1985, Section d’Histoire moderne et contemporaine, II, pp. 431-445 ; (avec Maria Grau), « ‘‘Nostra terra’’ et la Guerre d’Espagne in Jean Sagnes & Sylvie Caucanas (éd.), Les Français et la Guerre d’Espagne, Actes du colloque de Perpignan, Perpignan ; PUP, 1990, pp. 147-160 ; « Le catalanisme en France entre régionalisme français et nationalisme catalan ou ‘‘Nostra Terra’’ entre ‘‘canigonetes’’ et ‘‘Catalunya gran’’(1935-1942)», Bulletin de la Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales, CIII, Perpignan, 1995, pp. 181-217. « Quand les Allemands courtisaient les catalanistes du Nord : un témoignage inédit et son contexte », Lengas, Université Paul-Valéry – Montpellier III, Montpellier, 2001, pp. 77-101.
(5) Terra d’Oc, 22, Toulouse, octobre 1941.